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SKARLET : “Disparition. Étude d’un fait divers” (5)

 

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 Cinquième partie  

 

 Le premier procès
(20 - 30 avril 2009)

 

Nota : Les comptes-rendus de ce premier procès ont été recherchés en ligne, puis compilés et commentés ici fin janvier 2010.

 

Le 30 avril 2009, au terme de neuf jours d’audiences, le site de La Dépêche du Midi annonce que : “Le professeur de droit toulousain Jacques Viguier a été acquitté [ce] jeudi [30] par la cour d’assises de la Haute-Garonne où il était jugé pour le meurtre de son épouse disparue en 2000 et dont le corps n’a jamais été retrouvé.” Or, quelques jours plus tard, le 4 mai 2009, on apprend que : “Le parquet a fait appel lundi de l’acquittement du professeur de droit public de Toulouse[,] Jacques Viguier [,] jugé la semaine dernière aux assisses de Haute-Garonne pour le meurtre de sa femme disparue depuis neuf ans et dont le corps n’a jamais été retrouvé.” (DdM datée de ce jour, nous soulignons la répétition.) Ce qui s’est passé durant ces neuf jours de procès n’aura donc été qu’une “première manche”, certes remportée par l’accusé qui, le 2 mai 2009 (c’est-à-dire avant que l’appel du parquet ne soit interjeté), commente sa victoire dans les colonnes de la Dépêche (datée de ce jour) : “C’est un grand soulagement. La fin de souffrances terribles.” Et à propos de la disparition de son épouse: “C’est tout le problème de cette affaire. Certains pensent qu’elle est morte, d’autres comme sa mère croient qu’elle vit encore, quelque part… [...] J’ai le sentiment qu’elle est morte. C’est difficile. Elle a pu vouloir prendre du recul, des vacances et faire une mauvaise rencontre. Je ne sais pas.”

Alors que s’est-il passé entre le lundi matin, 20 avril, et le jeudi après-midi, 30 avril 2009 à 14h45, quand le président Cousté déclare, après que les jurés [3 femmes (une laborantine, une informaticienne, une "responsable administrative") et 6 hommes ("un ingénieur, un professeur des écoles à la retraite, un commercial, un prof de mathématiques, un chômeur, un responsable de projet"), âgés de 25 à 60 ans (DdM, 30/4/09)] auront répondu non aux questions touchant à la culpabilité de l’accusé: « En conséquence M. Viguier, vous êtes acquitté ! » (in DdM, 2/5/2009) Dans la même édition, J. C. (probablement Jean Cohadon) livre un commentaire surprenant du verdict (nous soulignons): “Contrairement à l’affirmation de l’avocat général [voir ci-dessous], des présomptions, même précises[,] graves et concordantes, ne font pas une certitude. Pas quand deux grands avocats investissent un dossier pour en démonter les rouages. Pas quand l’opinion, et donc les jurés, garde[nt] en tête le fiasco d’Outreau et ses certitudes dévastatrices. Jacques Viguier est acquitté et ce n’est pas une erreur judiciaire. Elle n’aurait pas davantage existé s’il avait été condamné. Le doute doit bénéficier à l’accusé. C’est une règle de base de notre droit. Il est juste qu’elle ne soit plus oubliée.” Ce commentaire - ou sa formulation - sont paradoxaux voire absurdes, car si l’accusé est coupable, son acquittement serait rien de moins qu’une erreur judiciaire. Et s’il ne l’est pas, c’est sa condamnation qui en serait une. Que l’on puisse par ailleurs lui concéder des circonstances atténuantes, une responsabilité partielle ou encore l’irresponsabilité au moment des faits, cela ne change rien à l’affaire. Le propos du rédacteur vise certes autre chose puisqu’il entend souligner que “le doute doit bénéficier à l’accusé”. Il n’en demeure pas moins que J. Viguier est ou bien innocent du crime dont on l’accuse - et doit par conséquent être acquitté - ou bien coupable... Or, et le rédacteur aurait pu en dire deux mots, c’est toujours à l’accusation (au Ministère public) de démontrer (ou de “montrer”) la culpabilité du prévenu, et non à celui-ci (ou à ses avocats) de prouver son innocence : c’est bien dans ce cadre formel qu’il doit alors être acquitté au bénéfice du doute, dès lors que l’accusation n’est pas parvenue à démontrer (ou à montrer) qu’il a commis le crime dont on (la société) l’accuse, et par conséquent à emporter la conviction du jury populaire. Mais, en insistant sur le doute, les propos du rédacteur révèlent surtout, volontairement ou involontairement, que les neuf jours d’audiences n’auront fourni aucun élément important, à charge ou à décharge, qui s’ajouterait à ceux que l’on connaissait déjà. Et donc que la lumière sur cette affaire n’aura pas été faite, contrairement aux souhaits de J. Viguier, formulés dans l’interview citée ci-dessus: “Pour mes enfants dont la solidité m’impressionne et qui veulent la vérité ou en tout cas que la justice confirme l’innocence de leur père. La vérité, c’est aussi ce que cherche la famille de ma femme et je le dis sans aucune forme d’agressivité. Et pour moi parce que la vérité me disculpera définitivement.” (DdM, 5/12/08)

 

Voici donc un passage en revue des différents éléments et témoignages tels qu’ils sont apparus au procès et rapportés dans les colonnes de la Dépêche et du Figaro, dont les articles sont toujours libres d’accès sur Internet au moment où nous reprenons notre analyse (janvier 2010):

 

1) Lundi 20. Après la lecture de l’acte d’accusation, dont on ne saura pas grand-chose, le procès s’attache aux évaluations de la personnalité de l’accusé, qui avait surpris la presse avec la déclaration suivante (nous soulignons): « Je suis fatigué mais, en même temps, ce sera une délivrance d’être acquitté dans 15 jours… ». La psychologue Catherine Hovsepain, dont l’étude remonte à 2001, évoque « l’intelligence supérieure à la moyenne » et le caractère « consciencieux » de l’accusé qui, comme le résume le rédacteur de La Dépêche (J.C.), aurait “le goût de la séduction, du charisme avec un soupçon de psychorigidité… « Qu’il essaye de tempérer », précise tout de suite l’experte”. - Le psychiatre Daniel Zagury “dépeint un mari qui ne veut pas voir les infidélités de son épouse. « Une sorte d’idéalisation. Et l’amant de Suzy n’était peut-être pas un rival acceptable narcissiquement… » L’expert va plus loin et ose, toujours « en fonction de l’analyse clinique », évaluer les hypothèses d’un passage à l’acte. Il écarte une pulsion violente style crime passionnel. Une longue préméditation ne retient pas non plus son assentiment. « La réponse à une défaillance brutale de ses défenses face à l’inéluctabilité de la rupture me paraît plus compatible »” (DdM, 21 avril 2009, nous soulignons). - Voici ce que l’envoyé spécial du Figaro, Stéphane Durand-Souffland, retient des propos du Dr Zagury, qui a expertisé l’accusé “voilà neuf ans”: «Jacques Viguier faisait preuve d’une certaine vigilance [...]. Il parlait toujours de son épouse au présent et évitait d’évoquer son propre goût pour la chasse. Mais cela ne peut être interprété ni dans un sens, ni dans l’autre. [...] On relève peut-être chez lui une petite note de psychorigidité,[...] mais comme certainement chez plusieurs personnes de l’assistance.» Et le rédacteur de résumer: “Vengeance de type paranoïaque d’un mari trompé ? Crime passionnel ? Assassinat «à froid» perpétré par un homme moins mégalomane que luttant contre sa timidité et craignant de perdre son statut social en cas de divorce ? Pour le Dr Zagury, aucun de ces scénarios ne «cadre» avec ce qu’il sait du suspect. Pour lui, si M. Viguier était coupable, la seule hypothèse envisageable serait celle d’un «brutal effondrement des défenses psychologiques face à l’inéluctable rupture conjugale» : un échec insupportable, le seul, dans une vie et une carrière. Pour traduire d’une formule laide mais limpide : M. Viguier aurait pu «griller un plomb».” (Le Figaro, 20 avril 2009, soir, nous soulignons)

 

On constate que les deux journalistes ne retiennent, n’entendent pas exactement le même témoignage. Et, tandis que le premier reste relativement sobre, se contentant de retranscrire les témoignages, le second annonce déjà les envolées lyriques qui vont caractériser ses reportages. - À titre de comparaison, voici les propos de l’expert psychiatre relatés par une agence de presse: “D’un point de vue scientifique, rien ne me permet de conclure à une innocence ou bien à une culpabilité [...] En revanche, dans l’hypothèse éventuelle de sa culpabilité bien sûr, l’acte criminel ne pourrait s’expliquer ni par la passion, ni par la vengeance ni par la jalousie. Excluant l’assassinat à froid, je ne verrais alors que l’hypothèse d’un effondrement brutal de personnalité avant l’acte criminel, suivi d’un rétablissement de toutes ses facultés [...] Monsieur Viguier ne souffre pas d’aliénation mentale. Son état est compatible avec une éventuelle condamnation”. (sur le site de lci.tf1.fr, texte du 20 avril 2009, soir, signé D. H. “avec agence”)

 

2) Mardi 21. C’est ensuite au tour des familiers de S. Viguier, ou du couple, de venir témoigner à la barre (propos rapportés par F. Ab. - sans doute Frédéric Abéla - pour la DdM): “« J’ai connu Suzy avant son mariage et après. À la fin de sa vie (sic), ça n’allait pas très bien », dit celui qui a également été témoin de mariage du couple, l’été 1988. « Le divorce, elle y pensait depuis un moment. Elle avait peur de ne pas pouvoir garder les enfants…»” - Une collègue de S. Viguier (qui avait perdu un enfant en 1991) raconte: « Comme elle souhaitait d’autres enfants, elle a passé un test génétique. Son mari n’a pas voulu. Elle avait juste besoin d’être rassurée. Lui a affirmé que ça ne pouvait pas venir de lui ». Lorsque J. Viguier parle de la fragilité et d’une “tendance à la victimisation” de son épouse, le même témoin rétorque: « Une Suzy qui se plaindrait n’est pas celle que je connaissais. Au contraire. Elle était volontaire, portait tout à bout de bras. J’ai pour elle le plus profond respect ! » Puis: « Suzy voulait divorcer mais elle avait peur de la réaction de Jacques… » Quant à la piste du départ volontaire, elle est rapidement écartée par les témoignages, dont celui du responsable de l’association de danse où S. Viguier exerçait : « Je l’ai vue quelques jours avant. Elle était très en forme, très heureuse. À 10.000 lieux de partir ou d’abandonner sa famille. » - Des amis du couple évoquent ses difficultés: « En 1995, il y a eu un problème dans le couple. Et à partir de 1998, c’était différent. On ne voyait plus Suzy. Jacques venait seul avec les enfants ». Et comment Jacques Viguier voyait-il le divorce ? « Il l’envisageait. Et d’une certaine façon, il avait intégré cette idée » Un autre témoin n’est pas de cet avis: « Je lui avais laissé entendre que tous les torts ne se trouvaient pas du côté de Suzy. Il m’a répondu : t’amuse pas à dire ça ! J’ai alors pensé que l’on avait atteint un point de non-retour. » (DdM, 22 avril 2009). Le témoignage de la collègue de S. Viguier prend une autre allure dans Le Figaro. Le rédacteur résume: “Suzy, affligée d’un œil au beurre noir, lui aurait confié que son époux l’avait frappée.” Et l’homme dans le box de protester: « Je n’ai jamais touché à un seul de ses cheveux ». Le témoin: « Il [J. Viguier] lui a dit : “Si tu me quittes, il ne restera plus aucune trace de ce qui était nous.”». Et St. Durand-Souffland de commenter: “Une formule lourde de menace, qui résonne de manière sinistre.” Omettant certains témoignages retenus par F. Ab. (ci-dessus), le journaliste retient une autre citation des amis du couple, qui jetterait une lumière différente sur le caractère de la disparue : «Ayant appris que Jacques l’avait trompée, [...] elle voulait organiser une sorte de procès, comme dans une cour d’assises des maris adultères. Ma femme aurait présidé, j’aurais assuré la défense, l’accusation aurait été soutenue par un ami de la famille, policier ou gendarme. Suzy était très insistante, elle nous a passé des coups de fil répétés .» (in Le Figaro, 22 avril 2009).

 

3) Mercredi 22. Puis c’est l’entrée en scène des policiers (propos rapportés par J. C. pour la DdM). Le commissaire divisionnaire Frédéric Mallon, 41 ans, qui à l’époque “dirigeait la division criminelle du SRPJ de Toulouse”, évoque : « le comportement normal d’Olivier Durandet et anormal de Jacques Viguier…[...] J’ai beaucoup discuté avec M. Durandet. J’ai pu le jauger [...] Pour moi, il avait un comportement de victime… [...] Quand nous récupérons le dossier le 9 mars [2000], plus de dix jours après la disparition de Suzanne Viguier, aucun transport dans la maison de la rue des Corbières n’a été réalisé. Dès que le parquet nous a saisis, nous avons demandé l’ouverture d’une information judiciaire pour mettre plusieurs personnes sur écoute. En matière d’enlèvement, c’est classique. Et le lendemain, une équipe est partie sur place pour réaliser des constatations, une autre a commencé les auditions. [...] Nous n’avions aucun élément pour placer M. Durandet en garde à vue. Et les charges s’accumulaient de l’autre côté ». Quant à la piste du Crazy Moon, où Mme Viguier réglait certaines chorégraphies:  « C’était en 1995 ou 1996. Pourquoi remonter si loin ? Surtout qu’à cette époque, les spectacles étaient décents. Les strip-teases sont arrivés après… ». - Le rédacteur retient également le témoignage d’Émilie Maillé, “30 ans, dont neuf années avec Jacques Viguier [c’est-à-dire en gros depuis la disparition de Suzanne]. « Je l’ai rencontré à 20 ans. C’était ma bêtise d’étudiante. Et après, cela a évolué ». Des lettres en prison puis une vie à deux pendant neuf ans au côté des enfants. Avec de vraies précautions. « Ils ont tellement souffert… » Une compagne, pas vraiment mère mais très présente. Et cette femme qui a fini par rompre voilà presque un an épuisée par la dépression permanente de son compagnon, devient sa meilleure avocate : « Jacques, il est très brillant en droit constitutionnel mais au quotidien, ce n’est pas brillant, dit-elle non sans humour. Il ne comprend pas l’humain. Il subit plus qu’il ne se révolte… Il est comme ça. » Et on découvre un Viguier maladroit, bon père, qui accepte la rupture. « Il fallait que je pense à moi. Je m’en veux de ne pas avoir tenu jusqu’au bout  [...] Un couple se construit sur des bases communes. Sa relation aux femmes n’est pas du tout ma façon de voir, mais il ne m’a pas déçu[e] ». (DdM, 23 avril 2009)  Quant à l’envoyé spécial du Figaro, il retient, pour l’édition de cette même journée, le témoignage de la baby-sitter: «J’ai eu l’impression que, dans la baignoire, il y avait comme du sang mélangé avec de l’eau.» Et le journaliste nous apprend (information nouvelle) que “le frère de M. Durandet a épousé la sœur de la babysitter. Aux enquêteurs, ce 2 mars [2000, lorsqu’elle se rend au commissariat avec O. Durandet], Séverine ne parle pas de la baignoire prétendument ensanglantée. Elle ne le fera que le… 20 septembre, après plusieurs autres auditions.” - Puis le journaliste nous fait partager quelques instants d’audience. Avocat de la défense (Me Catala): «Le 2 mars, il [O. Durandet] se présente comme ami de la famille Viguier et non comme amant de Suzy [...] Vous [Séverine] êtes à ses côtés et vous connaissez l’existence de leur liaison [autre information nouvelle que nous soulignons], mais vous ne dites rien. Quand M. Durandet soupçonne clairement Jacques Viguier d’avoir pu tuer sa femme, vous ne parlez pas de la baignoire… D’ailleurs, aucune trace de sang n’a été découverte sur celle-ci [sans doute une photo est-elle montrée à l’audience].» - Le témoin (la baby-sitter) : «Ça faisait un moment, il est possible qu’on n’ait rien trouvé… [?]» - J. Viguier : «Il y a trois baignoires à la maison. La seule qui est rose, c’est celle-ci.» [...] - L’avocat général: «Alors, quel est votre sentiment ? Elle est où, Suzy ? Sur une île, en train de prendre le soleil ?» La baby-sitter: «Non, non, non. Elle n’aurait pas abandonné ses enfants. Elle m’avait dit [début de sanglot] que c’était la plus belle chose de sa vie et qu’elle comptait sur moi pour en prendre soin.  [...] - Une autre baby-sitter (Audrey) raconte que J. Viguier «faisait mettre ses enfants, tout petits, au garde-à-vous, avait giflé un des jumeaux si fort qu’il en était tombé de son rehausseur et repoussé les gamins du pied pour ne pas partager un yaourt avec eux. » - J. Viguier: «Dans la Mélodie du bonheur, Julie Andrews, qui joue une nurse, fait mettre les enfants au garde-à-vous. Les miens avaient adoré cette scène, ils le faisaient pour rire.» La baby-sitter (Audrey) : «Des fois c’était pour rigoler, d’autres fois, non.» [...] - Un témoin, ami de l’accusé (Serge Regourd, à propos du matelas jeté): «Il [J. Viguier] m’a dit : “J’avais une impression de gâchis, je voulais mettre de l’ordre dans la maison et jeter le matelas, symbole de notre séparation”» - Avocat des parties civiles (Me Szpiner): «Il vous a aussi dit qu’il avait agi ainsi en pensant au confort de Suzy».- Témoin (S. Regourd) : «Vous biffez la première partie de ma déposition, je récuse votre raccourci.» - Avocat (Me Szpiner): «Mais vous lui demandez s’il a acheté un autre matelas : c’est donc bien une question de confort qui prime.» - Témoin (S. Regourd) : «Pas du tout. Il est tout simplement absurde d’avoir un clic-clac sans matelas. Le clic-clac postule le matelas. »(in Le Figaro, 23 avril 2009) A titre de comparaison, voici comment le témoignages du policier est relaté dans Le Point : "l’officier de police a cité la voiture de la jeune femme restée sur le parking, les lunettes retrouvées dans la maison alors que Suzanne Viguier est myope et [information nouvelle] le chargeur du téléphone portable oublié «alors qu’elle téléphonait toutes les heures à ses enfants dès qu’elle s’absentait». Des faits «troublants», a insisté le commissaire. Autre indice accusateur, la présence de micro-traces de sang de l’épouse dans une bassine, sous les rebords d’une baignoire, dans l’escalier, sur un pilier de l’entrée de la chambre, sur la housse de son lit. «Comme si on avait nettoyé, mais mal. Ainsi que du sang mêlé du couple sur les planches du sommier et sur les baskets de l’accusé », a noté Frédéric Mallon." (J. A., in Le Point, 28 avril 2009)

4) Jeudi 23. Après le détail des expertises ADN, d’autres policiers témoignent (propos rapportés par Jean-Noël Gros pour la DdM). D’abord la lieutenant qui a accueilli J. Viguier au commissariat des Ormeaux: « Je l’ai trouvé pas très inquiet. J’ai même été étonnée par son détachement. » Puis c’est au tour du commissaire Robert Saby, 51 ans: « Quand nos collègues ont découvert l’absence du matelas, il est devenu comme fou. Comme un lion en cage ! » Et de raconter le moment où, selon lui, l’accusé a “failli craquer”: « On était l’un à côté de l’autre, dans le bureau. Je lui ai parlé du deuil, de la nécessité pour ses enfants de pouvoir mettre des fleurs sur la tombe de leur mère. Je lui ai dit, allez, on y va. Il m’a demandé de réfléchir. Et puis il a dit : “ça doit être dur d’avouer qu’on a tué...” » (DdM, 24 avril 2009) Dans Le Figaro, on peut lire le témoignage de R. Saby sous un autre angle : Quand l’absence du matelas est découverte, J. Viguier «sort soudain, complètement retourné, livide, il aurait fallu un Caméscope pour que vous compreniez ! Il n’est pas bien, très agité ». Et le rédacteur de résumer: “Pour ce témoin, le professeur de droit est un «mari-garou», un génie du crime «qui joue avec les policiers». Faut-il préciser que M. Saby est persuadé qu’il a tué son épouse Suzanne ?” Et de se demander: “La question se pose, à l’heure où la procédure pénale est remise à plat, de l’opportunité de faire défiler la moitié d’un SRPJ (au moins sept fonctionnaires sont cités) à la barre. Le directeur d’enquête [à savoir F. Mallon, également convaincu de la culpabilité de l’accusé, mais moins expansif] ne suffirait-il pas, synthétisant les investigations, éclairant la cour et les parties ?” Puis de conclure: “M. Saby dépose toujours. Il a, paraît-il, exigé trois heures d’horloge. Il regrette de n’avoir été saisi que le 9 mars : «Le procureur n’a peut-être pas percuté tout de suite. Parce que si j’ai l’affaire le 1er mars, ce n’est pas la même musique !» Il fait l’éloge de l’accusé, «un homme bien, il le sait, je le lui ai déjà dit, supérieurement intelligent», car plus il le complimente, plus il se rehausse. Soudain, la fille de Jacques Viguier sort de la salle, secouée de sanglots, suivie par ses frères [épisode également relaté par La Dépêche ]. Un procès, c’est aussi de l’ambiance et quand un commissaire utilise l’accusé comme faire-valoir, l’ambiance devient vite détestable.”  (in Le Figaro, 24 avril 2009) À titre de comparaison, voici comment le témoignage de R. Saby est relaté dans les colonnes de L’Express : "Au moment de la garde à vue « on sait qu’il nous ment, on est sûr qu’il nous ment », a déclaré Robert Saby [qui] a notamment insisté sur un moment de «tête-à-tête d’homme à homme» où Jacques Viguier est «redevenu un être sensible à ce qu’on lui dit» et non plus «un être à l’immense capacité de dénégation». Le policier raconte avoir dit au professeur de droit: «il faut aller chercher Susi (suivant l’orthographe qu’elle affectionnait) [!] pour qu’on puisse lui donner une sépulture et que tes enfants puissent aller poser des fleurs dessus. Tu as fait une connerie mais elle n’est pas volontaire». A ce moment[-là,] selon Robert Saby, Jacques Viguier lui demande de le laisser «réfléchir», fait deux pas en avant comme pour suivre les policiers puis s’arrête en disant: «non, ça va être trop dur d’avouer qu’on a tué ». «Même s’il est stoïque aujourd’hui devant vous», dit Robert Saby aux jurés en regardant Jacques Viguier droit dans les yeux, «il sait de quoi je veux parler». - [...] Jacques Viguier, soutenant auparavant le regard du policier ou protestant par gestes, s’est figé face au défi que lui a lancé le policier. «Pour nous l’objectif était de retrouver la mère de trois enfants, mais jamais ils ne sauront où elle est, et il n’y a qu’un homme qui pourrait leur faire savoir», a renchéri Robert Saby." (L’Express, 24 avril 2009, sans signature) Voici encore la version d’AP reprise par le Nouvel Observateur : "Après trois heures d’exposé de Robert Saby [...], Jacques Viguier a pris la parole une dizaine de minutes pour réfuter les arguments à charge contre lui avancés par l’enquêteur. «Après ce long exposé de ma garde à vue par M. Saby, je suis étonné par la force de fantasme extraordinaire employée par ce policier sur ce qui aurait pu se passer », a déclaré M. Viguier, l’air énervé."  [...] «Cette enquête est un travail d’équipe des policiers, pas une affaire personnelle. Ce qui est arrivé à Suzy est sûrement accidentel. Jacques Viguier est un homme que je respecte mais qui a été dépassé par ce qui lui est arrivé. Ce n’est pas un voyou mais les constatations de l’enquête et son comportement étrange font que tous les soupçons s’orientent vers lui», a conclu M. Saby. «Je suis impressionné par cette volonté des enquêteurs d’aller dans un sens unique: c’est lui, c’est lui! Il y a pleins de détails sur lesquels M. Saby a menti», s’est indigné M. Viguier avant d’ajouter «que les autres pistes n’avaient pas assez été vérifiées». M. Saby a raconté durant son exposé que l’accusé a failli avouer. «Après 35 heures de garde à vue, je lui ai dit que ses enfants devaient avoir une sépulture de leur mère pour pouvoir se recueillir et qu’il devait donc nous dire où était caché le corps. Il s’est détendu et m’a dit qu’il allait y réfléchir», rapporte M. Saby. «Non, je n’ai jamais dit ça. Le commissaire n’a pas voulu être ridicule devant ses hommes et a dit que j’avais failli craquer », rétorque en colère M. Viguier. «Je ne peux pas aller dans le sens du commissaire car il ne correspond pas à la réalité», a-t-il ajouté." (AP in Le Nouvel Observateur, 23/04/09, soir)

 

5) Vendredi 24. On découvre ensuite quelques réponses de J. Viguier à certaines questions “troublantes” (rapportées par J.-N. G. pour la DdM): - Trois jours avant de se rendre au commissariat ? - « Vu l’état de mon couple, j’aurais dû me précipiter dès le lendemain ? Non, trois fois, dix fois non ! »[...] « J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire. Je fais confiance aux professionnels. J’attends. Je fais ce qu’on me dit… J’étais un peu effondré. Passif ? Si vous voulez » - La description qu’il donne de la tenue de sa femme correspond aux vêtements retrouvés dans la salle de bains. -  « Je ne connais pas la garde-robe de ma femme. Depuis la mort de son père, elle était toujours en noir. Donc j’ai dit noir… » - Il ne signale pas la découverte du sac de son épouse dans un placard. - « Quand j’ai découvert ce sac, j’étais perturbé. Je n’ai rien dit, c’est une erreur de ma part. Je n’avais pas la volonté de nuire à l’enquête ». - Il dit être parti d’Orgeix (Ariège) à 6 heures pour se rendre à une convocation policière. Or la PJ découvre qu’il était parti deux heures plus tôt et qu’il a passé deux heures chez ses parents. - « Lors d’un circuit en voiture, c’est dans les derniers kilomètres que l’on risque l’accident. J’étais fatigué, je me suis arrêté. Et ma bibliothèque de cinéma est chez mes parents. J’ai travaillé sur un article sur l’image du président des États-Unis dans le cinéma… » - A propos du fameux matelas, qu’il jette en sortant du commissariat: « Il me renvoie à ma situation conjugale. À cause de l’absence de Suzy, je suis énervé, mécontent. Je crois qu’elle veut m’embêter pour pas dire autre chose. Je me dis qu’à son retour, constatant l’absence du matelas, elle devra se décider à revenir dans le lit conjugal. Ou à divorcer. » - Cette journée était également consacrée aux analyses de la police scientifique après la perquisition du 10 mars 2000: “Une petite trace de sang de Suzy est ainsi détectée sur une marche puis sur un pilier de l’escalier qui mène à sa chambre mais aussi dans une bassine, sur le rebord de la baignoire, ou encore, mêlé avec le sang de Jacques Viguier, sur la housse de sommier du clic-clac qu’elle utilise. [...] « Quand je lui ai demandé pourquoi le matelas avait disparu, il a blêmi, s’est crispé. Il a dit c’est trop difficile et est parti à l’extérieur de la villa », a rapporté un officier. A cet instant-là, Viguier est placé en garde à vue et l’enquête bascule. « Je me suis rendu compte soudain que ça allait paraître suspect aux yeux des policiers », a-t-il avancé hier.” (DdM, 25 avril 2009)

 

6) Lundi 27. L’édition de la Dépêche du lundi 27 avril 2009 publie une courte interview d’O. Durandet avant son passage (retardé) à la barre où celui-ci dit (AFP) : « Quand j’ai rencontré Suzy, elle ne partageait plus grand-chose avec son mari à part le même nom. Et elle l’avait prévenu. Elle avait pardonné son infidélité de 1995, pas celle de 1998. S’ils partageaient encore le même toit, c’est uniquement pour les enfants. »  Il déclare également que S. Viguier allait quitter son mari et il pense qu’elle allait s’installer avec lui. Enfin, il affirme sa conviction que J. Viguier est coupable. - À la barre, O. Durandet s’adresse à l’accusé: « Oui, je pense que c’est toi qui l’a tuée ». La réponse vient plus tard: « Tu tiens des propos insoutenables [...] tu es sournois, et dis des mensonges ». Interrogé sur ses “incohérences”, l’accusé reconnaît ensuite des “réactions inappropriées”. Et son avocat: “« J’ai essayé de remplacer avec des moyens dérisoires les carences de l’enquête et demandé à l’amant où il se trouvait dans l’après-midi » [du dimanche, jour de la disparition de S. Viguier], a indiqué Me Catala qui a jugé « ces carences particulièrement inquiétantes »” (DdM, 27 avril 2009). - L’article du mardi 28 avril 2009 (signé J. C.) revient sur cette journée de lundi et le face à face entre le mari et l’amant, ce dernier évoquant sa relation avec la disparue: « Je ne me souviens pas d’une seule engueulade entre Suzy et moi [...] Tout se passait bien. Bien sûr, nous n’avons pas envisagé d’emménager ensemble en août 1998. Au fil du temps, notre relation a duré. Suzy pensait peut-être que son couple, qui n’existait plus, pouvait encore cohabiter sous le même toit pour ses enfants. Une utopie… En même temps, c’est tout Suzy ! [...] Suzy, je l’ai aimée. Elle m’a aimé aussi. Je n’accepte pas qu’on salisse son image[...] Elle était adorable, aimante, attentionnée, pleine de vie, de cœur…» Puis, à propos de sa disparition: « Il [J. Viguier] m’expliquait que ce n’était pas la première fois. Je ne pouvais pas lui dire que quand elle partait d’ici, elle venait chez moi [...] Avec le recul, je peux paraître maladroit, donner l’impression d’en faire trop mais à ce moment-là, je trouvais que je n’en faisais pas assez. Putain[,] vous êtes humains ! Si vous rentrez ce soir chez vous et que la personne que vous aimez n’est plus là, vous allez vous démener ! » Enfin, sur la culpabilité de l’accusé (bis) : « Maintenant oui, j’en suis persuadé. Oui, je pense que c’est lui. » Et, en s’adressant à l’homme dans le box: «Ouais, je pense que c’est toi ! Tu ne réagis même pas. C’est affligeant ! C’est indigne ! » L’accusé lâche un « Je savais que tu étais un individu médiocre, sournois et menteur » à l’adresse de son rival, puis il dit, à propos de la possible culpabilité de celui-ci: « Je ne sais pas [...] Je suis pour la présomption d’innocence ». - Ensuite, à partir de 18 heures, J. Viguier est interrogé directement par le président Cousté. Il dit que  « jamais  » il n’a parlé de secte [pour expliquer la disparition], que c’était  « une erreur  » de jeter le matelas et une « réaction inappropriée » de ne pas parler aux policiers du sac de la disparue retrouvé dans un placard de la villa.  Quant au coup de fil passé à sa mère le jour de la disparition: « Si j’étais le criminel machiavélique qu’on décrit, est-ce que j’aurais oublié ce coup de téléphone ! » Enfin, le rédacteur résume une information importante, sinon nouvelle (quoique déjà citée plus haut): “L’avocat général détaille à travers six dépositions différentes, entre mars 2000 et juin 2005, la question de la présence de Suzy Viguier dans son lit avec Clémence, le dimanche matin. À chaque fois, Jacques Viguier a légèrement changé son récit. Me Catala s’agace. Jacques Viguier ose : « Y pas de variante ». Tout de go, le magistrat répond : « Les jurés apprécieront… »” (in DdM, éd. citée) - Dans Le Figaro, l’audition d’O. Durandet se lit différemment. - Avocat des parties civiles (Me Debuisson) : «Avez-vous tué Suzanne Viguier ?» - Témoin (O. Durandet) : «Non… Non… Je n’avais aucune raison… J’avais trouvé quelqu’un qui me correspondait, qui m’aimait et me le montrait… Je la cherche toujours.» Le journaliste résume la suite: “Il (O. Durandet) décrit la façon dont l’inquiétude le gagne progressivement le dimanche 27 février après-midi. Il a raccompagné Suzy au domicile conjugal à 4 h 30 [,] horaire confirmé par l’accusé, et ils étaient convenus de s’appeler vers 14 heures, ce qui n’a pas eu lieu. En début de soirée, l’amant appelle le mari. [...] «La voix de Jacques m’a paru fausse», relate le témoin. [...] Le mardi, il suggère à M. Viguier d’aller au commissariat. Le mari prend le conseil d’un policier retraité et indique qu’une «recherche dans l’intérêt des familles» serait plus efficace qu’une simple déclaration de disparition. Mercredi 1er mars. Le mari se rend au commissariat. Suivi de l’amant, auquel la fonctionnaire indique : «Elle a pu partir avec un amant.» Réponse de M. Durandet : «L’amant, c’est moi.» Et d’apprendre que le mari s’est contenté de déclarer la disparition de Suzy. Un déclic : l’amant est à présent persuadé que le professeur d’université cache quelque chose. Il lui sera beaucoup reproché d’avoir remué ciel et terre, monté des témoins contre Jacques Viguier, et même dicté au SRPJ la conduite de l’enquête...” Puis St. Durand-Souffland repasse au style direct. - O. Durandet : «J’ai pu donner l’impression d’en faire trop mais je pensais, moi, que je n’en faisais pas assez. Imaginez que ce soir, la personne que vous aimez n’est pas là et que vous craignez de ne plus jamais la revoir. Mais p..., vous faites quoi d’autre ?» Avocat des parties civiles (Me Debuisson) : «Pensez-vous que Jacques Viguier a tué sa femme ?» Témoin (O. Durandet) : «J’aimerais pouvoir répondre autrement mais oui, j’en suis persuadé. [Et, s’adressant à l’accusé:] Il suffit que tu dises où est le corps de Suzy. Pour les enfants, tu as déjà foutu leur vie en l’air. Ce ne sont pas les miens, mais j’y pense sûrement plus que toi.» - J. Viguier : «Je savais que tu étais médiocre, tu es aussi sournois et menteur. Sur les écoutes, tu dragues deux filles de façon éhontée !» - Avocat des parties civiles (Me Szpiner): «Pensez-vous que M. Durandet a tué votre épouse ?» - J. Viguier : «Je suis pour la présomption d’innocence. Je ne sais pas.» - Me Szpiner : «Avez-vous des soupçons à son encontre ?» - J. Viguier : «Non.» Et le journaliste de commenter: “M. Viguier lui avait déjà donné un alibi, en confirmant le retour de Suzy chez eux à 14 h 30 [il faut lire 4h30]. Voilà qu’il anéantit le travail de ses avocats, qui tentent, du mieux qu’ils peuvent, de créer un doute quant au témoin. Celui-ci répond maintenant aux questions de Mes Catala et Leclerc avec aplomb, tant et si bien qu’il se permet de «moucher» ces vieux routiers des prétoires. Ainsi, lorsque le premier essaie de le mettre en difficulté sur son emploi du temps du 27 février, lance-t-il un ironique : «Si je vous dis que je fais un footing, j’ai bon ?» [réplique également rapportée par la DdM], qui, tel un boomerang, souligne la fragilité des déclarations de son ennemi du box. Si M. Durandet joue la comédie, il mérite un oscar. Si les jurés l’ont trouvé aussi sincère qu’il en a l’air, le procès de Jacques Viguier vient de basculer.”  (in Le Figaro, 27 avril 2009, soir, nous soulignons)

 

7) Mardi 28. C’est au tour des enfants de venir à la barre. D’abord Clémence, 19 ans, interrogée sur le fameux dimanche matin et sa présence dans le lit (“clic-clac”) de sa mère (audience suivie par J. C. pour la DdM) : « Je m’en veux de ne pas m’en souvenir. Je me sens coupable ». Puis : « Jamais nous n’avons été des enfants battus ». À propos du divorce: « Maman m’en a parlé. Je ne devais pas en parler à papa ». À propos d’O. Durandet:  « À l’époque, je l’aimais beaucoup ». Et de la disparition de sa mère: « C’est horrible de penser qu’elle nous a abandonnés [...] Je l’attends encore. Je n’idéalise pas. Je n’ai juste aucune preuve qu’elle soit morte [...] Jamais on a cherché ma mère. On a cherché son cadavre, on a cherché à montrer que mon père l’avait tuée mais jamais on a cherché ma mère vivante ! » Puis c’est à Nicolas, l’un des jumeaux, qui parle de la vie quotidienne, et à la mère de la disparue qui était fâchée avec sa fille.  Le rédacteur (J. C.) donne ensuite quelques extraits des plaidoiries que les cinq avocats des parties civiles ont tenues dans l’après-midi. - Me Hélène Chayrigues, avocate des jumeaux ; Me Bérengère Froger, avocate de Clémence ; Me Laurent De Caunes, avocat de la mère de S. Viguier, dont l’extrait de plaidoirie est intéressant : « Je ne sais pas si Jacques Viguier est innocent ou coupable. C’est vous qui le direz. Nous sommes là pour vous aider à comprendre, pour que vous arriviez à vous faire une idée. Mais il ne s’agit pas de foi, il s’agit de preuves ». Et, citant le Dr Zagury : « Rien ne cadre avec une personnalité habituelle quand les circonstances sont exceptionnelles…[...] L’absence de Suzy, qu’allez-vous en faire ? Et l’absence de certitude, qu’allez-vous en faire ? » - Me Francis Szpiner, avocat de Carole, sœur de S. Viguier : « Jacques Viguier m’a surpris. C’est un homme qui a une intelligence universitaire, de forme. Il n’a aucune intelligence de cœur, aucune intelligence pratique et une quasi-infirmité affective [...] Quand on vient vous dire que la police n’a rien fait, c’est un mensonge éhonté [...] C’est lui et personne d’autre. Le matelas, le sac, les clefs, le conflit avec Suzy… Tout converge vers Jacques Viguier ! » Et enfin Me Guy Debuisson, avocat d’Hélène, autre sœur de S. Viguier: « Il y a deux certitudes dans ce dossier. Un [:] Suzy est morte. Et mis à part vous[,] Jacques Viguier, personne n’est susceptible d’avoir tué Suzy ! [...] Durandet ? Pourquoi la ramène-t-il pour la tuer après ? Non, Durandet c’est l’emmerdeur, l’empêcheur de tourner en rond  [...] Vous auriez dû vous concentrer, ce dimanche, pour réussir le crime parfait. Rien n’était parfait. Vous aviez le choix : prévenir la police ou vous taire. Vous pouvez encore parler. Réfléchissez ! »  (in DdM, 29 avril 2009). - Dans son bref papier, St. Durand-Souffland privilégie le témoignage de l’autre des jumeaux des époux Viguier, “Guillaume, 17 ans” : «On n’a jamais cherché ma mère [...] On n’a cherché que son cadavre et la preuve que mon père l’avait tuée.» Et, parmi les plaidoiries des cinq avocats des parties civiles, il choisit celle de Me Szpiner qui cherche à montrer la culpabilité de l’accusé. Le rédacteur résume, tout en commentant: “Me Szpiner sent que démontrer que Jacques Viguier a commis un meurtre est compliqué. Il demande donc au président de poser aux jurés la question des «coups mortels». Une autre forme de crime, passible de quinze ans, et non trente, de réclusion en vertu des textes de l’époque. Une forme de crime, surtout, qui entre dans le cadre tracé, au premier jour, par l’expert psychiatre [...] La démonstration de Me Szpiner est limpide. Il dresse de M. Viguier le portrait d’un professeur agrégé dépourvu de «toute intelligence de cœur», affligé d’une «quasi-infirmité affective». Le voici, roitelet de son «harem universitaire» où il recrute toutes ses maîtresses parce qu’il avait besoin de les dominer. «Une manière d’aimer narcissique, égoïste», grince l’orateur, rappelant que Suzy fut, aussi, une étudiante du professeur Viguier. Mais celui-ci n’avait pas prévu qu’elle voudrait «s’émanciper». En 1998 commence dans le couple une «guerre des tranchées» qui va durer deux ans, au terme desquels «les nerfs des uns et des autres sont usés». Jacques Viguier, «à bout», tue son épouse dans un emportement «improvisé», ce qui explique le grand nombre d’erreurs qu’il commet par la suite. [...] Me Szpiner élimine méthodiquement toutes les hypothèses envisageables pour expliquer la disparition de la danseuse rebelle, qui avait enfin trouvé un autre homme avec lequel elle pensait refaire sa vie. Les avocats appellent cela «fermer les portes». L’exercice s’imposait, dans cette affaire hors du commun où une femme s’est volatilisée, un dimanche matin, dans une maison dont chaque porte était fermée à clé.”  (in Le Figaro, 28 avril 2009, soir, nous soulignons)

 

8) Mercredi 29. Ensuite, ce sont les plaidoiries de l’avocat général, Marc Gaubert (2h20mn), et du défenseur de J. Viguier, Me Georges Catala (2h40mn), qui se succèdent. Extraits (choisis par J. C. pour la DdM): « Des présomptions très graves, très précises, très concordantes. Toutes additionnées, ça fait une certitude [...]  C’est un homme qui est incontestablement dans la lumière. Mais il a aussi sa part d’ombre, épaisse [...] Est-ce un hasard s’il [O. Durandet] est tout le contraire de Jacques Viguier ? Sa liaison précipite la rupture dont elle [S. Viguier] avait besoin… » Quant à Jacques Viguier, il n’a pas supporté « le seul échec de sa vie, l’effondrement de son couple ». Puis à propos des éléments à charge (“le matelas qui disparaît, le sac et les clefs qui réapparaissent, la lessive qui s’organise, les explications invraisemblables, les mensonges...”): « Un homme intelligent n’aurait pas agi comme ça ? Mais l’histoire criminelle en est quand même encombrée ». Et d’évoquer les traces de sang: « Quarante dans sept lieux différents ! » Ainsi qu’une écoute téléphonique [élément nouveau] : “après sa garde à vue, le professeur de droit appelle sa mère : « Ce qui peut me porter tort, c’est qu’on ne la retrouve ni vivante ni morte. Vivante, c’est mieux pour les enfants. Morte, pour moi, ce serait très bien… » Les sœurs de Suzy s’effondrent. Dans le box, Jacques Viguier retrouve son teint rouge vif avant de recevoir le réconfort de ses enfants.” Et l’avocat général de conclure en réclamant quinze à vingt années de réclusion criminelle pour meurtre. - Puis la parole est à la défense : « Pourquoi quand la police scientifique débarque chez Viguier, elle mettra cinq ans à aller chez Durandet ? [...] Si j’ai tué Suzy, quelque part rue des Corbières, la maison parle, l’escalier parle, la voiture parle… Rien, pas le début d’une démonstration [...] Vous devez juger la certitude absolue que c’est lui. Que toutes les pistes, tous les chemins, toutes les portes ont été fermées. Si vous avez le moindre doute, vous devez l’acquitter ! »  (in DdM, 30 avril 2009) C’est un Stéphane Durand-Souffland très en forme qui commente la plaidoirie de Marc Gaubert: "[Il ]se lève à 14 h 20. C’est, en soi, une bonne nouvelle car, comme il n’avait pas daigné quitter son siège pour intervenir durant les deux semaines de débats, on avait fini par craindre qu’il pût durement souffrir des jambes. Mais il n’en est rien. Le réquisitoire va durer trois heures et la station debout, du fait sans doute de sa rareté, stimule même l’imagination de l’avocat général [qui] commence en effet son propos par une charge violente contre… des parties civiles qui refusent d’accabler Jacques Viguier, en l’espèce sa belle-mère et, surtout, ses trois enfants. «Ils vous incitent implicitement, affirme peu élégamment M. Gaubert aux jurés, à ne pas rendre justice à leur mère. Mais on ne fait pas acquitter un meurtrier au nom de la compassion !» Meurtrier : le mot est lâché. [... Pour l’avocat général, ] M. Viguier «a tout réussi, sauf sa vie conjugale qui est son seul échec, ce qu’il n’a pas toléré». Il lui faut aussi démontrer que l’accusé était habituellement violent, ce que nombre de témoignages contestent. Prenant prétexte de la scène, controversée, d’un geste d’humeur virulent à l’issue d’une partie de cartes, M. Gaubert fustige les «colères infantiles» de sa cible. C’est, en quelque sorte, la preuve par le tarot [!]. Il citera aussi un épisode durant lequel M. Viguier aurait repoussé du pied l’un de des fils pour ne pas partager un laitage avec lui. La preuve par le yaourt, à présent [!]. Enfin, il lui faut démontrer que l’agrégé de droit était farouchement opposé au divorce souhaité par «Suzy», ce que démentent certains proches. C’est pourtant, aux yeux du ministère public, une vérité établie. «Il veut la faire passer pour folle afin de garder les enfants, vous voyez la démarche», assène le magistrat, là encore sur la foi d’assertions discutables. M. Gaubert est nettement plus convaincant lorsqu’il énumère les nombreux mensonges et variations de l’accusé. «Il existe, argumente-t-il, des présomptions très graves, précises, concordantes qui, additionnées, font au bout du compte une certitude.» - Il faut toutefois attendre 16 heures pour qu’il en vienne au cœur du problème, le fameux matelas du clic-clac de Suzy que le professeur de droit a, mystérieusement, jeté. Aucune des explications avancées par l’intéressé ne résiste à l’analyse. Il y a également ces nombreuses taches de sang, trop minuscules pour trahir un carnage mais, à force, embarrassantes dans le contexte. «Le mensonge, note l’avocat général dans une heureuse formule, est l’ami de l’accusation.» Le magistrat s’égare encore, certes, dans des «hypothèses» fumeuses, comme lorsqu’il cherche à démontrer qu’il existait cinq clés de la maison Viguier, et non six comme l’a juré à la barre l’ancien propriétaire : «Imaginons qu’il en ait gardé une en souvenir», hasarde ainsi Marc Gaubert… Quoi qu’il en soit, son réquisitoire, trop long et construit de manière quelque peu amphigourique, lui permet de conclure honnêtement à la culpabilité de Jacques Viguier. Une lecture, avant de demander la peine, pour convaincre les jurés que l’homme du box n’a pas de cœur : celle d’une écoute téléphonique du 15 mars 2000, Suzy a disparu le 27 février et son amant, Olivier Durandet, remue depuis ciel et terre pour la localiser. L’accusé explique à sa propre mère : «Ce qui peut me porter tort, c’est qu’on ne la retrouve ni vivante ni morte. Vivante, c’est mieux pour les enfants. Morte, pour moi, ce serait très bien.» - «C’est un meurtre, je ne crois pas aux coups mortels», déclare Marc Gaubert. Regardant Jacques Viguier : «Je sais que c’est vous qui l’avez fait». Aux jurés : «Jacques Viguier a tué Suzanne». Puis, présentant sa demande de peine comme une marque de compassion en direction des trois enfants de l’accusé, il réclame «de quinze à vingt ans de réclusion criminelle» avant de retrouver son fauteuil favori." (in Le Figaro, 29 avril 2009, soir) Dans l’édition du lendemain, le rédacteur revient sur la première plaidoirie de la défense: "Me Georges Catala se lève en premier. Ce pénaliste toulousain ressemble à un Ted Kennedy touché par la grâce de l’irrésistible accent qu’on n’attrape qu’au bord de la Garonne. Il se lance dans un marathon de trois heures, à égalité avec le réquisitoire. Certes, il y aura des longueurs. Certes, plusieurs arguments sortis de la manche de Me Catala à la veille du verdict laisseront dubitatifs, quand d’autres auraient mérité de plus amples développements à l’audience. Mais l’avocat injecte du cœur dans ce dossier, martelant d’emblée que son client «est debout parce que ses enfants l’ont déjà acquitté». [...] Me Catala évacue le problème épineux que lui pose le matelas du clic-clac emporté par son client dans une décharge quelques jours après la disparition de Suzy. Selon lui, cet objet constitue le symbole de son infortune conjugale - étant entendu que M. Viguier n’est pas un parangon de vertu -, car il a pu supporter des étreintes adultères. «Il ne le jette pas, il le rejette», rugit l’avocat dans une astucieuse pirouette lexicale. Quelques minutes, encore, pour flétrir l’amant, laisser entendre que ce dernier, peut-être... Et il en revient, pour finir, à ces enfants qui, «après avoir perdu leur mère, risquent de perdre leur père». Conclusion: «Vous l’acquitterez». (in Le Figaro, 30 avril 2009)

9) Jeudi 30. Le lendemain matin, l’autre avocat de la défense, Me Henri Leclerc plaide. Extraits livrés par J. Cohadon « Certes il [J. Viguier] ne se défend pas bien [...] Ce sont souvent les innocents qui se défendent le plus mal…[...] Comment se forge l’erreur judiciaire ? Par la conviction policière ! Elle éclaire les faits à la lumière des hypothèses, d’un seul côté [...] Jacques Viguier a tué sa femme dans ce lit [clic-clac] plein de sang ! Jacques Viguier a tué sa femme et il va y faire dormir… sa maman ! Pendant trois nuits ? [élément nouveau] Cela vous paraît possible ? Cela vous paraît possible ! [...] Les cours d’assises sont quelquefois des lieux de malheur. Si vous rendez une décision de condamnation, je me vois sortir et consoler ses enfants. Qu’est-ce que je pourrais leur dire ? Vous n’allez pas les convaincre parce que vous n’êtes pas convaincus. Parce que Jacques Viguier n’a pas tué sa femme. Comme vous ne pouvez pas en avoir la certitude, alors, vous lui direz, vous leur direz, de repartir. Ce ne sera pas une erreur judiciaire. Je ne crois pas que l’on puisse dire avec certitude que Jacques Viguier a tué sa femme. Vous devez l’acquitter ! » (in DdM, 2 mai 2009) St.  Durand-Souffland est nettement plus lyrique: "À présent, fermons les yeux. Me Henri Leclerc plaide. Il a bientôt 75 ans, plus d’un demi-siècle de barre derrière lui, et la plus belle voix qui se puisse entendre dans un prétoire. Cuivrée, nuancée, caressante et chaude. Il parle, et c’est comme le saxophone de Stan Getz qui vous murmure Desafinado à l’oreille. Me Leclerc est peut-être un monument historique judiciaire, il a beau se moquer de sa «peau qui se fripe», de ses «yeux qui ne voient plus très clair», de ses «mains qui tremblent un peu», il reste un immense démolisseur de certitudes hâtives. Le grand vieux monsieur accroche, plus encore que son confrère, les jurés par le cœur et les entraîne dans son sillage. «Moi, je les aime tous les deux, Jacques et Suzy», clame-t-il, tout en suggérant, par touches subliminales, que l’épouse était loin d’être irréprochable. L’air de rien, il «décanonise» la victime sans jamais la salir - du grand art. L’accusé? un «homme normal qui a su rester simple», mais que les policiers ont condamné par avance, au point de ne pas envisager une autre piste. Un professeur de droit machiavélique, le Mabuse du Capitole? Non, un «innocent qui se débat dans une toile d’araignée». «Comment se forge une erreur judiciaire, demande Me Leclerc. Quand on éclaire les faits à la lumière d’une hypothèse». On passe des assises à l’universel, d’un simple dossier judiciaire à Javert contre Valjean. Il en vient à son tour au fameux matelas, pièce à conviction par contumace. Si Jacques Viguier l’a jeté, c’est qu’il était ensanglanté, prétexte l’accusation. Or, dévoile l’orateur, la mère de l’accusé a passé deux nuits dans le clic-clac peu après la disparition de Suzy et avant celle du matelas: «Et vous voudriez que Jacques Viguier, après avoir tué sa femme sur ce lit, y fasse dormir sa maman? Dans un clic-clac plein de sang?» Pour retrouver les nombreuses gouttelettes de sang retrouvées çà et là dans la maison [...], il ose un artifice: «Je me suis coupé en me rasant. Je me suis donc tamponné le visage avec un mouchoir en papier que j’ai jeté. Et puis je me suis dit: non, non, il faut le montrer à mesdames et messieurs les jurés». Et d’exhiber un Kleenex maculé de traces sombres: «Vous voyez, on se coupe tout le temps, ces gouttes ne prouvent rien». Vertu magique du sang de l’avocat, qui lave celui du dossier... - L’amant en prend pour son grade, accusé mezzo voce d’avoir cherché à instrumentaliser les enfants contre leur propre père. Le commissaire Saby également, stigmatisé pour avoir voulu extorquer des aveux qu’il n’a jamais obtenus tout en soutenant, avec un culot d’airain, qu’il n’en était pas loin et que même ce silence confond M. Viguier. «Les policiers ont besoin d’aveux pour verrouiller une enquête dont ils ne sont pas sûrs», professe Me Leclerc. Mais il est temps de jouer la dernière note à la cour, dont l’envoûtement ne saurait être éternel: «Si vous condamnez Jacques Viguier, je me vois à la sortie, essayant de consoler ces enfants qui ne verront plus leur père. Personne ne peut dire avec certitude qu’il a tué sa femme, vous-mêmes n’en êtes pas convaincus. Vous n’avez qu’une solution: lui dire de repartir. Ce ne sera pas une erreur judiciaire: vous devez l’acquitter.»" Pour conclure, le rédacteur cite le mot de la fin de J. Viguier: «Un mot, très court. C’est dur depuis neuf ans. Je n’en peux plus. Je n’ai pas tué Suzy. J’espère que vous m’avez compris». Et de le commenter: "Personne n’a vraiment compris le singulier professeur, à l’issue de deux semaines de procès. Ce qui l’a sauvé, c’est que les jurés, déboussolés par une accusation qui sonnait faux, parce que trop gourmande, aient préféré l’efficace partition à deux voix de ses avocats." (in Le Figaro, 30 avril 2009)

 

***


Si ces fragments d’audience peuvent laisser sur sa faim le lecteur patient qui nous a suivi jusqu’ici, sans doute aussi dans l’espoir d’en apprendre un peu plus sur cette affaire, les commentaires des deux principaux journaux cités restent plutôt circonspects, en exceptant l’affirmation paradoxale dans La Dépêche sur le “bénéfice du doute”, citée plus haut, et le premier article du Figaro, où il est question du “professeur de droit qui répond du meurtre de son épouse commis en février 2000“ (in Le Figaro, 20 avril 2009, nous soulignons) : cette formulation pourrait suggérer que le crime et la date à laquelle il a été commis seraient établis, ce qui en l’absence du corps ne peut être le cas. Il faut souligner que Stéphane Durand-Souffland a du mal à réprimer une certaine antipathie pour l’accusé, qu’il partage avec un certain nombre de ses collègues et qui lui inspirent un début de roman d’épouvante : “pâle et figé - prend-il des anxiolytiques ?” (20/4) - “d’une fixité à faire peur, le visage luisant de cette sueur glacée qu’on retrouve sur les traits des malades très médicamentés” (21/4). Et, de manière certes subtile, il ne se prive pas de prendre parti à sa manière (nous soulignons) : “Si M. Durandet joue la comédie, il mérite un oscar. Si les jurés l’ont trouvé aussi sincère qu’il en a l’air [!], le procès de Jacques Viguier vient de basculer” (voir ci-dessus, 27/4). - “La démonstration de Me Szpiner est limpide [etc., paragraphe cité ci-dessus, 28/4]. La force du propos réside dans son adaptation totale à la teneur de l’audience. Et à son bon sens ” (28/4). Même si on en a senti les prémisses lors de la déposition du commissaire Saby, c’est avec la plaidoirie de l’avocat général que notre rédacteur change de ton, et il semble, avec sa sympathie déclarée pour les deux ténors de la défense, également "changer de camp". Mais sa chute nous détrompe. Relisons-la et soulignons: "Personne n’a vraiment compris le singulier professeur, à l’issue de deux semaines de procès. Ce qui l’a sauvé, c’est que les jurés, déboussolés par une accusation qui sonnait faux, parce que trop gourmande, aient préféré l’efficace partition à deux voix de ses avocats." - Peu d’envolées, au contraire, dans les colonnes de la Dépêche : "Dans le box, chemise blanche et veste noire, Jacques Viguier garde l’immobilisme de lundi après-midi. Concentré, hyper attentif. Le regard rivé sur les personnes à la barre qui défilent." Et F. Ab. risque tout de même quatre mots de commentaire: "Curieuse statue de cire." (DdM, éd. cit., 22/4)

 

Des articles consultés (encore en ligne et librement accessibles en janvier 2010), seule la Dépêche du Midi (éd. cit., 22/4) consacre un passage - intitulé Un polar médiatique - à la médiatisation du procès, qui est assez impressionnante : une "soixantaine de journalistes accrédités", appartenant à la presse écrite, la radio, la télévision ("environ une quinzaine" de "médias nationaux" présents). Ainsi : "Depuis lundi, la salle des pas perdus de la cour d’assises prend aussi des allures de plateau télé. À chaque suspension d’audience, micros et caméra avalent littéralement l’un des avocats des parties ou l’un des nombreux témoins assaillis par la meute  (nous soulignons). - Les journalistes pensent qu’ « il y a dans cette affaire tous les ingrédients d’une histoire hors du commun. » - « Je devais couvrir AZF l’après-midi mais Paris m’a appelé pour me commander deux feuillets sur l’affaire Viguier » (Gilbert Laval, Libération). - « Cette affaire a défrayé la chronique et il y a au bout un enjeu judiciaire énorme [...] pas question d’avoir des convictions sur une affaire criminelle qui n’a rien de banal… » (Yves Bordenave, Le Monde) - D’ailleurs, le mot de « partie d’échec[s] diabolique » est lâché par des gens de télévision. - Selon l’équipe de France 2 (Le Fait divers, le Mag): « La trilogie, mari, femme, amant, ne laisse personne indifférent et on sent bien que tout est possible dans ce procès ». Devant le nombre croissant de ces émissions consacrées au fait divers - une équipe de M6 étant également présente pour un magazine de soixante minutes  - un journaliste pense que : «C’est peut-être le côté voyeur des gens qui entraîne cette surenchère d’émissions».

 

Ce dernier propos passe sous silence que "le côté voyeur des gens" est savamment entretenu, voire suscité, par les médias et notamment par la télévision qui, en donnant à voir sans que l’on puisse être vu, remplit très exactement l’exigence du voyeurisme. Selon un autre avis, c’est le fameux trio de la comédie de boulevard ("mari, femme, amant") qui fascinerait, et notamment le côté ouvert ("on sent bien que tout est possible") de cette "partie d’échecs diabolique". - Plus révélatrice, la déclaration du correspondant de Libération qui devait "couvrir AZF", à savoir le procès en correctionnelle ouvert le 3 mars 2009 sur l’explosion d’une usine chimique à Toulouse, le 21 septembre 2001, qui comme nous l’avons rappelé (ci-dessus IV) a "fait 30 [ou 31] morts, 10.000 blessés et détruit de nombreux bâtiments et logements" (Wikipédia). Or, dans la citation proposée, cette "catastrophe industrielle, la pire que la France ait connu depuis 1945" (ibid.) semble moins importante aux yeux du journal que notre fait divers qui, en comparaison, montre toute sa vanité et son caractère dérisoire.

 

 

 

 

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